Lectures du CRP19 – Dixième édition
21 septembre 2024
Avec le soutien du CRP19
Responsable : Adrien Peuple & Inji Hwang
Url : http://www.crp19.org
Adresse : Paris, Maison de la Recherche de l’université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, 4 rue des Irlandais, 75005 Paris
Date de tombée : 30 Avril 2024
Résumé
Depuis plusieurs années, les « Lectures du CRP19 (centre de recherche sur les poétiques du XIXe siècle) », organisées par les doctorantes et les doctorants du Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle, s’intéressent aux œuvres méconnues d’auteur·rice·s consacré.e.s. La dixième édition propose cette année de redécouvrir Delphine (1802) de Germaine de Staël.
Argumentaire
Depuis plusieurs années, les « Lectures du CRP19 », organisées par les doctorantes et les doctorants du Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle, laboratoire rattaché à l’ED 120 de l’Université Sorbonne Nouvelle, s’intéressent aux œuvres méconnues d’auteur·rice·s consacré·e·s. La dixième édition propose cette année de redécouvrir Delphine (1802) de Germaine de Staël.
Delphine (1802) occupe une place primordiale dans la carrière littéraire de Germaine de Staël. Après avoir rédigé des essais politiques et littéraires, Staël s’engage résolument dans le roman[1]. Cette transition traduit une volonté d’expérimenter ses théories sur la fiction, énoncées dans son Essai sur les fictions (1795) puis dans De la littérature (1800), qui promeuvent tous deux un roman moderne. « Après avoir prouvé que j’avais l’esprit sérieux, il faut, s’il se peut, tâcher de le faire oublier, et populariser sa réputation auprès des femmes[2] », écrit-elle à Carl Gustaf von Brinkman, le 27 avril 1800. À peine De la littérature vient-il d’être édité que Staël se met aussitôt à composer un roman. C’est dire que la rédaction de Delphine est engagée dans la continuité de son essai littéraire et que si Staël s’aventure dans la carrière soi-disant féminine du roman, elle cherche à le révolutionner.
La littérature, face aux désastres de la « Terreur » et de ses rouages démagogiques, ne peut être indifférente à la réalité sociale. D’après Lucia Omacini, la plupart des romans épistolaires produits entre 1790-1830 font fi de l’actualité révolutionnaire[3]. Or, la trame épistolaire du roman de Staël prend à bras le corps la réalité de la Révolution. À travers les questions éthiques, mises en lien avec le politique, que soulèvent le roman, Delphine est un véritable brûlot libéral qui fait sensation lors de sa publication.
Ce roman est un succès commercial, puisqu’aux dires du journaliste Pierre‑Louis Roederer les Parisiens délaissent les spectacles et les cérémonies religieuses pour dévorer ce chef‑d’œuvre[4], qui suscite cependant de nombreuses controverses. Beaucoup de détracteurs reprochent à Staël son geste subversif, celui de contrer les conciliations idéologiques en cours entre césarisme montant et réaction religieuse. Le Journal des débats fustige Delphine comme un roman « dangereux » qui non seulement « calomnie la religion catholique » mais en plus véhicule des « principes » « très anti-sociaux »[5]. Ce roman est controversé d’autant plus qu’il soulève les questions propres à la condition féminine.
Depuis quelques années le roman Delphine connaît un regain d’intérêt. Lors du bicentenaire de la mort de Staël, Delphine a connu deux rééditions importantes, celles de Catriona Seth pour la Bibliothèque de la Pléiade et d’Aurélie Foglia pour la collection « Folio classique ». Les recherches récentes de Stéphanie Genand ont remis en valeur la notoriété de ce roman[6]. Ainsi cet intérêt justifie-t-il à ce titre de rouvrir le dossier Delphine.
Pour mieux cerner les enjeux de Delphine et creuser de nouvelles perspectives, la journée d’étude pourrait privilégier les approches suivantes :
Approche génétique et générique
– Il serait intéressant de partir des brouillons et des ébauches du roman Delphine, publiés dans la précieuse édition de Lucia Omacini et de Simone Balayé chez Droz[7], pour évaluer les différences esthétiques et poétiques qui apparaissent entre l’esquisse romanesque et l’œuvre finale.
– L’approche génétique pourrait aussi se focaliser sur la préface et la postface de Staël qui encadrent le récit et orientent la lecture.
– Nous pourrions nous demander à quels genres littéraires le roman emprunte ses codes poétiques. Bien que le roman reprenne les poncifs du roman sentimental, en quoi les détourne-t-il ou les renouvelle-t-il ?
– Cette approche générique et génétique pourrait également s’intéresser aux intertextes du roman : par exemple en interrogeant le dialogue critique que Staël établit entre son roman et La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. On pourra plus généralement s’interroger sur le dialogue avec d’autres auteur.e.s (Goethe, Charrière…).
Approche poétique et esthétique
– Alors que Les Liaisons dangereuses marquent un apogée du roman épistolaire en 1782, nous pourrions comparer les stratégies poétiques mises en place dans Delphine ainsi que dans d’autres romans épistolaires contemporains, à l’instar d’Aline et Valcour (1793) de Sade ou d’Aldomen (1794) et d’Oberman (1804) de Senancour.
– Si Isabelle Guillot s’est chargé d’analyser la fonction du portrait et des peintures au sein de la trame narrative de Delphine[8], nous pourrions ouvrir de nouvelles perspectives en nous intéressant à la place stratégique des dialogues, véritables scènes herméneutiques et heuristiques dans lesquelles les personnages sont poussés dans leur retranchement. On pourra aussi observer comment Staël module la forme romanesque.
– Le roman se situe dans la transition complexe du ‘moment 1800’. Nous pourrions nous demander en quoi le roman établit un bilan critique des Lumières, mais aussi quelle serait son identité « romantique ».
– Nous pourrions aussi interroger le rapport entre « Histoire » et « histoire » et mieux interroger l’écriture paradoxalement politique de cette œuvre. Quelle écriture de l’Histoire Staël définit-elle à travers la fiction ?
– Une réflexion sur la notion du « tragique » serait tout autant la bienvenue du fait que le canevas de ce roman épistolaire repose sur le rapport impossible et retardé entre Léonce et Delphine. D’ailleurs Staël n’écrit-elle pas à Adèle Pastoret « [qu’] [elle] cherche des sujets de tragédie[9] » pour composer son roman ?
Approche thématique
– Nombreux sont les thèmes qui cristallisent les enjeux du roman comme la « mélancolie » ou « l’enthousiasme ». La notion de « pitié » aussi revient de manière constante et s’impose comme point cardinal de l’éthique staëlienne. Par ailleurs, la question de « l’opinion » est centrale.
– De même, la question religieuse est à creuser. Le roman déprécie le catholicisme à travers la dévotion fanatique de Matilde. En revanche, le protestantisme se présente sous de meilleurs auspices. Mais ce binarisme n’est-il pas à nuancer d’autant plus que Delphine ne professe aucun culte et se prononce en faveur du déisme ?
– Stéphanie Genand a récemment publié un essai Sympathie de la nuit dans lequel elle explique le thème de la folie à travers trois nouvelles de jeunesse de Staël[10]. Qu’en est-il dans Delphine, où les « fureurs » et « délires » se multiplient ?
– Delphine contribue à nourrir par le biais de la fiction les pensées de Staël au sujet de la mélancolie et de l’exil.
Approche philosophique et sociologique
– Alors que les études anglophones se sont focalisées sur la représentation du féminin dans le corpus staëlien, les études françaises ont privilégié de leurs côtés la représentation du masculin. A l’heure des gender studies, il serait intéressant à présent de réfléchir sur le rapport des sexes et de s’interroger sur la définition et la représentation du genre à travers l’écriture féminine et masculine des épistolaires.
– Dans sa préface à l’édition « Folio classique », Aurélie Foglia suggère que le travail romanesque s’apparente à une enquête « proto-sociologique[11] » à travers l’analyse de la condition féminine. Une perspective sociologique et ethnologique serait aussi envisageable quant à la représentation de l’aristocratie, aussi bien celle de la France que celle de l’Espagne.
Approche linguistique
– Alors qu’Éric Bordas a démontré une stylistique de la monodie dans le roman Corinne ou l’Italie[12], il semble que cette perspective manque dans la réception critique de Delphine, même si Frank Bellucci observe une « stylistique de la douleur[13] ».
Modalités de soumission
Les propositions de communication comprenant un résumé de 250 à 500 mots ainsi qu’une courte biobibliographie sont à envoyer à l’adresse suivante :
- adrien.peuple@sorbonne-nouvelle.fr
- inji.hwang@sorbonne-nouvelle.fr
avant le mardi 30 avril 2024
Elles seront évaluées par le comité scientifique.
Informations utiles
- La journée d’étude se tiendra le samedi 21 septembre 2024 à la Maison de la Recherche, 4 rue des Irlandais.
- La prise en charge des frais de transport n’est pour le moment pas assurée.
Comité scientifique
- Aurélie Foglia
- Stéphanie Genand
- Florence Lotterie
- Jean-Marie Roulin
Comité d’organisation
- Inji Hwang
- Adrien Peuple
Bibliographie
Balaye, Simone, « Les gestes de la dissimulation dans Delphine », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, t. XXVI, mai 1974, p. 182-202 ;
Balaye, Simone, « Delphine de Madame de Staël et la presse sous le Consulat », Romantisme, t. LI, 1987, p. 39-47 ;
Balaye, Simone, « Destins d’hommes dans Delphine de Madame de Staël », in Voltaire, the Enlightenment and the Comic Mode. Essays in Honour of Jean Sareil. Ed. Maxine G. Cutler. New York / Bern / Frankfurt-am-Main / Paris, Verlag Peter Lang, 1990, p. 1-10 ;
Balaye, Simone, « Destin de femmes dans Delphine », publié dans Madame de Staël : écrire, lutter, vivre, Genève Paris, Droz, 1994, p. 61-76 ;
Balaye, Simone, « Delphine, roman des Lumières : pour une lecture politique », publié dans Madame de Staël : écrire, lutter, vivre, Genève Paris, Droz, 1994,pp. 185-198 ;
Bellucci, Franck, « Les maux du corps et de l’âme dans Delphine », publié dans Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 75-86 ;
Brousteau, Anne, « Delphine de Mme de Staël : une esthétique romanesque de la sympathie », publié dans Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 87-96 ;
Castagnès Gilles, « ‟ Delphine ” de Mme de Staël, ou la quête du malheur », dans Revue d’Histoire littéraire de la France, n° 1, 2013, p. 71-86 ;
Dubeau, Catherine, La Lettre et la mère. Roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Necker et Germaine de Staël, Paris, Hermann, 2013 ;
Garry-Boussel, Claire, Statut et fonction du personnage masculin chez Madame de Staël, Paris, Champion, 2002 ;
Genand, Stéphanie, « ‘‘N’ai-je pas aussi mon délire ?’’ : troubles du masculin dans Delphine (1802) de Madame de Staël », dans Masculinités en révolution de Rousseau à Balzac, [sous la direction de Daniel Maira et Jean-Marie Roulin], Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2013, p. 217-226 ;
Genand, Stéphanie, La Chambre noire. Germaine de Staël et la pensée du négatif, Genève, Droz, 2016 ;
Genand, Stéphanie, « Delphine ou les malheurs de la vertu : une lecture paradoxale de Germaine de Staël », L’Atelier des idées. Pour Michel Delon, sous la direction de Jacques Berchtold et de Pierre Frantz, Paris, PUPS, 2017, p. 475-485 ;
Genand, Stéphanie, Sympathie de la nuit, Paris, Flammarion, 2022 ;
Genand, Stéphanie, « Féminités scandaleuses. Delphine de Germaine de Staël et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir », Savoirs en lien [En ligne], 1 | 2022, publié le 15 décembre 2022 et consulté le 09 novembre 2023 ;
Gengembre, Gérard, « Delphine, ou la Révolution française : un roman du divorce », publié dans Cahiers staëlien, n° 56, 2005, p. 105-112 ;
Goldzink, Jean, « Delphine ou la Révolution française », Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française, Paris, Bordas, t. II, 1994 ;
Guillot, Isabelle, « Portraits et tableaux dans Delphine », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 97-103 ;
Gutwirth, Madelyn, Madame de Staël, novelist : the Emergence of the Artist as a Woman, University of Illinois Press, 1978 ;
Higonnet, Margaret, « Delphine d’une guerre civile à l’autre », Annales Benjamin Constant, n° 8-9, 1988, p. 211-224 ;
Lotterie, Florence, « Une revanche de la ‶femme-auteur″ » ? Madame de Staël disciple de Rousseau », publié dans Romantisme, 2003, n° 122, pp. 19-31 ;
Lotterie, Florence, « Madame de Staël. La littérature comme ‶philosophie sensible″ », publié dans Romantisme, 2004, n° 124, pp. 19-30 ;
Lotterie, Florence, « Un aspect de la réception de Delphine : la figure polémique de la ‘femme philosophe’« , Cahiers staëliens, n° 57, 2006, p. 119-135 ;
Lotterie, Florence, Le Genre des Lumières. Femme et philosophe au XVIIIe siècle, Paris, Garnier, 2013 ;
Louichon, Brigitte, « Lieux et discours dans Delphine », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 53-63 ;
Mauzi, Robert, L’idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe, Genève, Slatkine, 1979, réed. Albin Michel, 1994 ;
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Rivara Annie, « Contre-romanesque et hyper-romanesque dans les quatorze première lettres de Delphine », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 39-51 ;
Seth, Catriona, « Introduction », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 9-13 ;
Szabo, Anne, « Aspects et fonctions du temps dans Delphine », Le groupe de Coppet et la Révolution française, Lausanne, Annales Benjamin Constant, Paris, Jean Touzot, 1988 ;
Szmurlo, Karyna, Germaine de Staël : Crossing the Borders, New Brunswick (NJ), Rutgers University Press, 1991 ;
Vallois, Marie-Claire, Fictions féminines, Madame de Staël et les voix de la Sibylle, Stanford, Stanford University Press Press, 1987 ;
Vanoflen, Laurence, « De Caliste à Delphine, et retour ? Victoire. Individu et société dans les romans d’Isabelle de Charrière et de Germaine de Staël », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 25-38 ;
Zanone, Damien, « Romanesque et mélancolie : l’imminence du romantisme dans Delphine », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 66-73 ;
Zanone, Damien, « Être femme dans Delphine de Germaine de Staël, ou le roman contre la maxime », publié dans Simples vies de femmes. Etudes réunies par Sylvie Thorel, Paris, Honoré Champion, 2017, pp. 109-114.
Notes
[1] Staël a d’abord exploré les territoires de la fiction par le biais de ses nouvelles de jeunesse.
[2] CG IV-I, p. 230.
[3] Lucia Omacini, « Delphine et la tradition du roman épistolaire », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 20.
[4] Charlotte Julia Blennerhassett, Madame de Staël et son temps, trad. par Auguste Dietrich, Paris, Louis Westhausser, 1890, 3 vol. , t. II, p. 500.
[5] Cité par Michel Winock, Madame de Staël, Paris, Fayard, 2010, p. 235.
[6] Voir bibliographie ci-dessous.
[7] Madame de Staël, Delphine, t. II : L’Avant-texte : contribution à une étude critique génétique, Genève, Droz, 1990.
[8] Voir Isabelle Guillot, « Portraits et tableaux dans Delphine », Cahiers staëliens, n° 56, 2005, p. 97-103.
[9] CG IV-I, p. 322.
[10] Stéphanie Genand, Sympathie de la nuit, Paris, Flammarion, 2022.
[11] Aurélie Foglia, « Préface », dans Delphine, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2017, p. 22.
[12] Éric Bordas, « Les Discours de Corinne : Stylistique d’une monodie », publié dans L’Eclat et le silence : « Corinne ou l’Italie » de Madame de Staël [sous la direction de Simone Balayé], Paris : Honoré Champion, 1999, p. 161-205.
[13] Franck Bellucci, « Les maux du corps et de l’âme dans Delphine », Cahiers staëliens, n° 57, 2005, p. 82 : « Mme de Staël met à l’œuvre une véritable poétique de la douleur. Une considération stylistique détaillée du roman prouverait l’ambition formelle de l’auteur qui cherche à rendre perceptible, presque palpable, la souffrance de ses héros […]. »
Sources
« Delphine de Germaine de Staël », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 12 février 2024, https://doi.org/10.58079/vsxv